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Crise malienne: « La crise finira si les parties impliquées ont leur part du gâteau »

En 2012, au moment où Amadou Toumani Touré, le président malien à l’époque, préparait la fin de son mandat, un coup d’Etat surgissait au palais de Koulouba. A la même période, des salafistes et indépendantistes armés dans le Nord du pays réclamaient la cession entre la partie septentrionale et occidentale du Mali. Cette crise a fait de nombreuses victimes tant sur le plan militaire que civil, occasionnant du coup un afflux considérable de familles dans les pays frontaliers du Mali dont le Burkina Faso. A Sag-Nioniogo, localité  située dans la commune rurale de Pabré, au nord de Ouagadougou, nous avons pu rencontrer Ali Ag El Hadi, un refugié malien, qui témoigne sur sa situation et sur bien d’autres sujets.

 

Le quotidien : Parlez-nous de votre séjour au « pays des Hommes intègres » ?

Ali Ag El Hadi : Nous avons été bien accueillis et tout se déroule  bien, sans trop d’inquiétude.

 

Depuis votre arrivée et votre redéploiement sur le site, bénéficiez-vous de prises en charge ?

 Depuis notre arrivée, tout se passe bien. Je souligne que c’est le Haut -commissariat des Nations Unies aux réfugiés  (HCR) qui assure la protection, IEDA qui s’occupe de la gestion du site. Il y  a aussi OXFAM, la Croix rouge, l’ONG Terre des hommes et bien d’autres. En ce qui concerne l’enseignement, au niveau primaire, il y a une continuité et il est pris en charge par l’ONG Terre des hommes. Pour le secondaire, cette année, on n’a pas eu de partenaire. On avait 118 élèves au secondaire répartis entre Ouagadougou et Sag-nioniogo Et il n’y a que 18 qui ont pu être scolarisés et les 100 autres vont rester. Le HCR explique cela par le manque de moyens

 

Comment appréciez-vous ces moyens?

Pour les prises en charge, on  a de nombreuses ONG qui interviennent sur le site ; donc on ne  s’en plaint pas trop.

 

A votre arrivée jusqu'à ce jour, avez-vous une idée du nombre de réfugiés maliens présents sur le sol burkinabè ?

A notre arrivée, il y avait près de 75 000 réfugiés et entre-temps, on tendait vers les 100 000. A ce jour, le nombre a considérablement diminué car les gens sont partis pour  de multiples raisons. Par exemple, l’assistance n’est pas de taille à tous les niveaux.  De ce fait, les gens préfèrent partir et d’autres même disent qu’ils préfèrent aller mourir  plutôt  que de rester sur le site.

 

La paix est relativement revenue dans le Nord.  Pensez-vous  repartir  ou y a-t-il toujours la peur ? Y a-t-il des rapatriements volontaires ?

Nous pensons repartir, mais la politique et le problème racial restent un véritable obstacle. Ceux qui avaient la peau noire étaient hier marginalisés, mais présentement les choses ont changé et c’est ceux-là qui ont la peau blanche qui sont  indexés comme étant des djihadistes. Et tous ceux d’entre eux qui retournent au pays font quelques jours à la gendarmerie avant de reprendre leur train de vie. C’est des choses qui sont humiliantes et  cela pousse les gens à ne plus vouloir partir. Il y a toujours de la crainte. On nous dit que les djihadistes ne sont plus sur le terrain comme au début, mais on refuse de nous dire qui sont  exactement ces gens qui détiennent les armes et sèment toujours la terreur. On ne donne pas une position précise de ces hommes armés et pourquoi Kidal est resté tel, pourquoi la Minusma ne contrôle- t-elle pas réellement cette zone ? Pourquoi arrivent-ils à faire des petits attentats ? D’où sont-ils ? Par où passent-ils pour rentrer ? Ils ne sont pas hors du pays à mon humble avis. Vous savez, ce n’est pas dans l’habitude du Touareg de voir partout des hommes en tenue militaire. Psychologiquement, tout le monde est frustré et surtout les enfants. Il y a eu tellement de pertes tant humaines que matérielles et beaucoup sont ceux-là qui se demandent qui va réparer cette injustice. C’est ce qui pousse de nombreuses personnes à ne pas encore parler de retour. Les moins nantis quant à eux préfèrent rester sur les sites pour bénéficier des prises en charge parce que là-bas ils ont tout perdu, tout a été pillé. Mais en dépit de ces aspects, il  y a des rapatriements volontaires, des gens qui acceptent de repartir d’eux- mêmes. Il y a eu un moment où le HCR avait essayé  d’initier des départs volontaires, mais il a dû  suspendre à cause des attentats qui ont eu lieu à la même période. Malgré tout, certains préfèrent partir à cause de l’assistance qui n’est pas de taille.

 

Quelle analyse  faites-vous de la crise malienne ? Espérez-vous un dénouement rapide vu que la médiation a presque changé de main ?

Le problème est de tous les côtés et c’est un problème d’intérêt. La crise finira si  les parties impliquées ont leur part du gâteau. Ce n’est pas en changeant de médiateurs que la crise  prendra fin. Il faut que les Maliens eux -mêmes s’asseyent au tour d’une table pour laver leur linge sale. Il n’y a pas un mal sur cette terre qui ne puisse pas avoir de remède.

 

Vous êtes en contact avec les populations restées au Nord-Mali. Dites-nous quelles informations avez-vous sur la situation sécuritaire actuelle ?

On a des parents qui sont restés dans certaines zones où il n’y a pas de problème. Même au moment de la pleine crise, il y a des zones qui n’ont pas été touchées. Pour les zones touchées, présentement, on peut dire qu’il y a de l’amélioration. D’autres par contre sont restés et préfèrent mourir que de quitter leur localité à cause de leurs investissements. Le plus souvent, c’est avec eux que nous avons les informations.

 

Comment expliquez-vous la récurrence de la violence et des combats au Nord-Mali malgré la présence des forces françaises et onusiennes ?

On sent effectivement la présence de tout ce beau monde pour la sécurité, mais on se pose la question de savoir si ces gens sont là pour la sécurité ou pour leurs propres intérêts.  Pourquoi sont-ils là exactement ? Et je souligne aussi que ce sont des questions difficiles à résoudre. Ces forces de sécurité sont présentes pour leur business. Elles nous disent être là pour nous, mais sont contre nous. Quand nous parlons d’intérêt, vous savez bien comme moi que le Nord-Mali est une zone qui regorge de ressources, principalement minières, surtout le pétrole et l’or. De même, c’est un canal pour le trafic de drogue. Tout cela il fallait faire quitter X qui dérangeait  pour amener Y et voir comment la gestion pouvait se faire en leur faveur bien sûr. Il ne faut pas occulter que ATT qui était cité comme un exemple de  démocrate est autrement vu aujourd’hui. Par ailleurs, pourquoi ne pas dire que ce sont ces gendarmes de la paix qui sont les instigateurs de ce désordre. Car à un mois ou deux avant, un  coup d’Etat est survenu pour des raisons non réellement élucidées jusqu’à ce jour. Il est accusé d’avoir laissé les Touaregs rentrer avec des armes et il fallait le faire partir. Mais en réalité, c’est à cause du fait qu’il avait donné la licence d’exploitation du pétrole aux Chinois et que l’ancienne métropole n’étant pas d’accord avec cette décision, l’a poussé à sortir par la petite porte de l’histoire. Le trafic de drogue dans le Nord-Mali par exemple, c’est la chasse gardée des Américains.  Ce flanc est politique et c’est cet aspect qui est pris en compte lors des résolutions des crises, alors que le véritable problème qui est social, en réalité,  est rangé dans les oubliettes. Pour dire simplement que même si la crise prenait fin maintenant dans ces conditions, dans quelques années, elle resurgira.  En clair, la sortie de crise n’est pas pour maintenant. 

 

Quelles solutions de paix pouvez-vous décliner en tant que ressortissant de cette région ?

Pour moi, la recherche de la paix va de pair avec l’implication de tous les acteurs, et quand je parle  de tous les acteurs c’est y compris l’armée, les couches politiques et la population.  La plupart du temps, on règle les problèmes militaires, politiques et on pense avoir résolu la crise dans un pays. Le plus souvent,  je demande aux  Touareg de s’inclure dans la politique, car si c’était le cas on ne parlerait pas de crise aujourd’hui. S’ils avaient des éléments dans les institutions de prise  de décision, ils allaient pouvoir donner des idées, se faire valoir et se faire entendre. Quand on prend le Nord par exemple, c’est l’une des zones qui  fait rentrer des devises  non négligeable au Mali alors qu’il est délaissé. C’est une zone où il y a moins de structures étatiques, raison pour laquelle ses problèmes sont en second plan dans la politique de Bamako. Il y a aussi le cas racial qu’il faut revoir et  dont personne ne veut parler. Mais le véritable problème est que la crise ne date même pas de maintenant.

 

Les djihadistes étaient-ils de bons musulmans?

Aujourd’hui, je me demande ce que c’est qu’être bon musulman. Si c’est couper la main de son prochain qui est la religion, alors je me dis qu’elle est sévère. Dieu dit que c’est Lui seul qui rend justice et voir l’attitude de ces hommes, on dirait qu’ils sont des demi-dieux. Je trouve en réalité que les djihadistes n’étaient que des trafiquants de drogue, des hommes d’affaires peut-être engagés par d’autres personnes, par d’autres pays qui sèment la zizanie en Afrique. Comme le fait d’importer les maladies et du n’importe quoi qu’ils envoient en Afrique. C’est une façon d’amener  le continent à ne pas se développer.  

 

Participez-vous à la vie politique du Mali, depuis le Burkina ?images.jpg

Nous nous impliquons d’une façon ou d’une autre. J’ai même participé aux élections et j’étais dans un bureau de vote avec la collaboration de l’ambassade du Mali, au Burkina.

 

Vous êtes au Burkina depuis presque trois ans ; comment trouvez-vous la vie communautaire au Burkina ? Etes-vous facilement acceptés ?

Au début, on sentait la peur, vu le stéréotype que les gens avaient de nous. Mais il faut reconnaitre qu’avec le temps, les choses ont changé et nous nous intégrons facilement. Seulement, nous sommes dans les camps qui sont un peu éloignés de la ville, et je pense que cela peut être un obstacle pour l’apprentissage de la culture burkinabè. Par exemple, il y a des Burkinabè qui se marient avec des filles touaregs. Ici nous retrouvons des valeurs qui n’existent pas chez nous. Des valeurs qui peuvent nous permettre de résoudre des petits problèmes. Au Burkina, on sent que n’importe qui peut insulter son prochain à cause de la parenté à plaisanterie et c’est des valeurs qui sont comme un ciment social. On voit aussi des propos tel que «  au nom de ton papa, au nom d’un tel je te laisse ». C’est des valeurs de ce genre que l’on devrait apprendre dans l’optique de pouvoir changer des mentalités au retour. Si on avait des échanges inter culturels, cela allait nous aider. A cet effet, J’ai demandé aux partenaires de nous dire pourquoi l’éducation n’est pas en premier lieu dans leur programme. Alors qu’ils savent que le manque d’éducation est un véritable problème. Je sens que l’on nous amène à ne même pas être ouverts. Moi je suis dans le monde communautaire, avec une association. Je verrai comment inculquer cette culture que ce soit par des sketchs, des causeries, etc.

 

En 2015, le président du Burkina et aussi médiateur dans la crise malienne,  Blaise Compaoré, sera en fin de mandat et ne sera plus en mesure de se présenter. De ce fait, la question de la révision de la Constitution, en son article 37, se pose pour lui permettre de briguer un autre mandat après presque 28 ans de règne. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

En démocratie, je pense que rester longtemps à la tête d’un pays, c’est créer davantage de problèmes pour le pays et de façon récurrente,  c’est ce qui occasionne les crises dans les pays. Vouloir briguer un autre mandat serait une façon de dire que « si ce n’est pas moi il  n’y a pas une autre personne. Je suis de telle ou de telle ethnie et c’est nous qui dominons le pays ». Si vous prenez le cas  du Mali, un Touareg n’a jamais été président, raison pour laquelle le développement est mono polaire. Cela amène donc des révoltes, des frustrations. Sur le site d’hébergement, c’est des sujets qui reviennent le plus souvent dans nos causeries. Et on se dit que si  la crise malienne ne trouve pas un dénouement finale d’ici là, c’est- à -dire en 2015, nous serons dans l’obligation de rentrer, pas par nous- mêmes, mais plutôt par cas de force majeure. Car nous entendons la population en parler. Je pense que s’il aime son pays et sa population, la meilleure façon serait de les écouter. Généralement, la population écoute les dirigeants. Mais cela n’est pas réciproque. Pour le cas des politiciens, ils n’approchent le peuple que quand leurs intérêts sont menacés.

 

Le spectre d’une crise plane- t-il sur le pays des Hommes intègres?

De  par la lecture des gens on sent qu’il y a une crise à l’horizon. Avec les multiples marches, les élèves, les étudiants, quand on regarde tous ces mouvements, on ne pourrait pas de dire que les choses peuvent changer, dans les jours à venir.images (1).jpg

 

Au moment où les négociations  se mènent à Alger, il y a des attentats dans le Nord notamment vers Kidal. Qu’en pensez-vous ?

C’est comme je l’ai dit en sus, à l’heure actuelle, on ne dit pas qui sont ceux-là qui sont à Kidal, parce que beaucoup de ces djihadistes disent qu’ils sont du camp du MNLA et se sont retranchés à Kidal. Donc ils ont toujours les moyens militaires. La seule alternative à ce problème est qu’il faut passer au désarmement de ces gens. Car c’est de Kidal qu’ils arrivent à ressortir et faire ces attentats. Je pense que c’est plus que des foutaises, au moment où une partie du peuple se trouve en Algérie, pour une sortie de crise. Il y a des gens qui se permettent de rester au pays et de procéder à des attentats. En fait, on ne sent même pas du sérieux dans cette affaire.

 

Il y a quelques jours, les présidents africains étaient  aux Etats-Unis. Pensez-vous que cela est prometteur  pour l’avenir de l’Afrique ?

Je pense que si les choses continuent ainsi,  les présidents africains vont comprendre qu’ils ne sont pas les hommes de la situation et qu’il est temps pour eux de plier bagages. Durer au pouvoir ne peut pas résoudre le problème d’un pays. Et je me dis que Obama a fait savoir que les pays africains n’ont pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. De plus, je pense que cette rencontre est beaucoup plus amicale que politique. Il faut aussi voir qu’elle peut porter un coup à la Françafrique si elle continuait.

 

Votre dernier mot?

Nous souhaitons la paix en général, la paix au Mali pour permettre aux gens de repartir, parce que nous sentons un retard de trois ans. En plus, nous demandons aux politiciens, à tous les acteurs de la médiation, de mettre leurs penchants de côté et de se focaliser sur la paix durable afin de permettre aux Maliens refugiés de pouvoir retourner dans leur pays.  On sent une crise sérieuse surtout alimentaire dans les années à venir si cela continuait.

 

 

Propos recueillis par Ibrahima ZALLE 



08/10/2014
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